« Le Soulier de Jean Marie »
Enfoncant dans les poches de sa culotte ses mains glacées,
Jean Marie, qu’on avait envoyé en commission à Saint Geniès,
s’en revenait à la ferme d’Estacobiau.
Devant lui, sur le chemin tout craquant de givre, trottinaient
deux petits garçons de son âge, bien vêtus, bien chaussés, avec un
bon béret enfoncé sur les yeux, et tout autour du cou, un cache-nez de
tricot : car on était au cœur de l’hiver.
Ceux là revenaient de l’école : on le voyait au petit sac de cuir
qu’ils portaient en bandoulière sur l’épaule gauche. Lui, Jean Marie,
ne connaissait pas un pareil luxe et n’avait pas le temps d’aller à
l’école.
Mener aux champs les oies et les dindons d’Estacobiau, les
empêcher d’aller faire du dégât dans les terres labourées, leur écraser
le matin les « patanos » avec la farine de maïs, c’était toute la science
de Jean Marie.
Marchant vite pour se réchauffer, il rattrapa les écoliers.
« Eh ! Adieu, Jean Marie ! » Cria l’un d’eux.
Au même moment, le son joyeux et grêle des cloches de Saint
Geniès se fit entendre
« C’est pour Noël », dit Julien, le plus grand des deux garçons.
Les cloches nous disent : « N’oubliez pas ce soir de mettre vos souliers
dans la cheminée ! »
La conversation s’engagea entre les trois enfants.
Jean Marie, qui n’avait jamais entendu parler de souliers dans
la cheminée, se renseignait et les autres prenaient plaisir à l’instruire.
« Mais qui donc met les bonnes choses dans les souliers ?
demandait-il, très intéressé.
— On ne sait pas trop, fit Julien. Les uns disent le bonhomme Noël ;
les autres, le petit Jésus.
— E puis, remarqua Marius un gros joufflu qui n’avait pas
plus de cinq ans, qu’est’ e que ça fait, pourvu qu’on trouve du bon ?
— Bien sûr ! approuva Jean-Marie. Et alors… tout le monde
trouve quelque chose dans les souliers ?
— Excepté les désobéissants et les menteurs, à ce que dit
maman. Moi, j’ai toujours trouvé quelque chose. »
Ceci fut dit avec une noble fierté.
De nouveau seul sur le chemin, Jean Marie songeait.
Trouver des noix, du chocolat, des dragées dans un soulier,
quelle belle chose ! Des dragées, il n’en avait mangé qu’une fois
dans sa vie, mais il en avait gardé le goût au bout de la langue.
Et pourquoi n’essaierait-il pas, lui aussi ? Marius avait dit : excepté les
désobéissants et les menteurs.
Or Jean Marie était bien sûr de n’être ni l’un ni l’autre. Le jour
où il avait cassé la terrine des dindons, quand on lui avait demandé
qui avait fait ce malheur, il avait répondu que c’était lui, malgré sa
grande peur d’être grondé et Mme Espagnac, la fermière, lui avait
pardonné sa maladresse en faveur de sa franchise.
Mais quoi ! Tout à coup Jean Marie s’est arrêté.
L’œil agrandi, la bouche ouverte, il contemple avec une sorte
d’effroi le bout de ses pieds nus. Comment mettra-t-il ses souliers
dans la cheminée, lui qui n’a pas de souliers ?
Il ne se souvient pas d’en avoir jamais eus, et jusqu’ici cela lui
a été bien égal : la peau de ses pieds s’est durcie comme une semelle,
il ne sent pas les cailloux de la route.
Mais ne pas pouvoir mettre son soulier dans la cheminée,
quel malheur ! Jamais comme en ce moment l’orphelin n’a senti sa
senti sa misère : son cœur se gonfle, il va pleurer.
Non, cependant. Jean Marie est courageux, habitué à se tirer d’affaire
dans les cas difficiles. Il n’est pas sot non plus ; et voilà qu’une
idée se présente à son cerveau. Des souliers, on en trouve quelquefois
dans les fossés, le long des haies… Oh ! Pas des souliers neufs, pour
sûr mais le bonhomme Noël, qui descend dans les cheminées, les
mains pleines de cadeaux, ne doit pas regarder à cela. Il doit savoir
que quand on est pauvre, on n’a pas toujours des souliers neufs à sa
disposition…
De ses yeux de sept ans, Jean Marié inspecte les bords du
chemin. Sur les berges garnies de ronces, dans les fossés boueux, sous s
les touffes d’églantiers, il tâte, il fouille… et voilà que tout à coup son
regard brille : il a trouvé ce qu’il cherchait.
Pourtant cet objet sans forme ni couleur, dont un chiffonnier
ne voudrait pas, mérite t-il encore le nom de soulier ? N’importe. Le
petit garçon le serre dans ses bras avec amour. En cinq minutes il est
à la ferme d’Estacobiau.
Dans un coin de la grande cheminée où flambe un feu de souches,
il a placé le vieux soulier.
Et maintenant, tout en pelant les pommes de terre pour le dîner
du soir, il le surveille du coin de l’œil : on ne le voit pas trop dans cet
angle un peu obscur Jean Marie fait des voeux pour qu’il échappe
aux regards vigilants de Mme Espagnac.
Celle-ci justement, voulant remettre de la braise sous le pot où
cuit la soupe, s’approche du feu : pour se donner du cœur,
Jean-Marie joue à la « baloche » de Montastruc.
« Qu’est ce que c’est que cette saleté ‘là ? s’écrie la fermière.
Qui est ce qui m’a traîné cette vieille semelle dans le coin de la
cheminée ? C’est toi, Briquette ! »
Un coup de pied à l’innocente petite chienne, qui le reçoit sans
protester. Puis Mme Espagnac attrape le vieux soulier du bout de ses
pincettes et l’envoie se promener dans la cour.
Le nez sur les pommes de terre qu’il épluche, Jean Marie se garde bien
de souffler.
« J’irai le rechercher tout à l’heure, » se dit-il. Sa besogne
terminée, il sort doucement. Retrouver le soulier, c’est bien facile :
ce qui l’est moins, c’est de s’en servir. Le replacer où il était, il
n’y faut pas songer à présent : Mme Espagnac est une bonne femme,
mais qu’il faut se garder d’impatienter. Cependant il n’y a pas dans
la ferme d’autre cheminée que celle de la cuisine. Venir ce soir à tout
petits pas, quand tout le monde sera couché, remettre le soulier ? Mais
Mme Espagnac se couche si tard ! La savate à la main, le pauvre petit
reste là, bien perplexe…
« Eh ! Bonsoir, Jean Marie ! » Dit une petite voix tout près de lui.
Levant la tête, il a reconnu Marguerite, ordinairement appelée
Margalidou : c’est la fille unique de M. le maire, une jolie petite fille
de six ans. Presque chaque jour, elle vient avec sa bonne à l’heure où
l’on trait les vaches, chercher le lait. Elle est gentille et a toujours un
mot aimable pour le petit pâtre d’Estacobiau, qu’elle plaint de tout son
coeur en pensant qu’il n’a plus de maman.
Et tout à coup la pensée vient au petit garçon de confier ses
soucis à Margalidou : qui sait si elle n’aura pas une bonne idée ?
Bien sûr, elle mettra ce soir dans la cheminée ses mignonnes petites
bottines.
Tandis que de nouveau la cloche argentine de Saint Geniès
annonce la fête, joyeusement, les deux enfants causent à voix basse.
« Rien de plus aisé, Jean Marie, a dit Margalidou. Donne-moi
le soulier. Ce soir je le mettrai près du mien dans la cheminée de
maman. Chez nous, pas de danger qu’on te le jette par la fenêtre,
pauvrot ! Demain matin, tu viendras voir, et j’espère bien… »
Mais chut ! voici la bonne avec le pot au lait. La petite fille
court la rejoindre, emportant sous son grand manteau tout l’espoir de
Jean Marie.
… Qui fut bien surprise, ce soir là, ce fut la mère de Marguerite,
en trouvant dans sa cheminée, près des fines chaussures de sa fille,
Un informe soulier tout éculé. Tout naturellement, elle interrogea.
Or, Margalidou n’avait pas de secrets pour sa maman : sans
nulle difficulté, elle raconta l’histoire du petit pâtre d’Estacobiau.
« Vois-tu, ajouta-t-elle en finissant, j’ai demandé au petit Jésus
de partager en deux ce qu’il avait l’intention de me donner. Penses-tu
qu’il voudra bien mettre la moitié de mes cadeaux dans le soulier de
Jean Marie ? »
Obligée de se détourner pour essuyer une larme, la maman ne
répondit pas aussitôt. Quel beau Noël Margalidou lui procurait sans
y penser ! Car rien ne réjouit plus un cœur de mère que de trouver la
bonté dans celui de son enfant.
« Oui ma chérie, oui, dit-elle en embrassant la petite fille, je
suis sûre qu’il le voudra ! »
Le lendemain de bonne heure, le petit berger s’en vint sonner
chez M. le maire. Bien poliment, le béret à la main, il venait demander
des nouvelles de son soulier. La bonne avait des ordres et le conduisit
dans la chambre où l’attendait Margalidou. Bien doucement, on leva
le rideau de la cheminée…
« Viens voir ! Viens voir ! » Criait la petite fille, battant des
mains.
Mais Jean Marie, la bouche ouverte, semblait paralysé de
surprise et de joie. Le vieux soulier tout éventré débordait de pralines
et de sucres d’orge. De plus, tout au milieu des friandises, — et si
grosse que le pauvre petit n’en avait jamais vu de si grosse ! — on
voyait briller une pièce d’argent.
Si tu fais l’effort de rendre chaque jour rendre une personne heureuse
par ton action, aussi petite soit-elle, ta vie deviendra une succession
de bonheur infinie.
« Un enfant à qui on enseigne la bonté, est un trésor qui ne périra jamais »
Un grand merci d’avoir lu mon article !Si vous voulez transformer votre INTERIEUR en OR MENAGER cliquez sur ce lien et laissez vos coordonnées pour que je puisse vous donner d’autres infirmations et vous envoyer une petite video explicative
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